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2009

Thomas Monin

Thomas Monin

Passer la nuit

 

De 1982 à 1986, Marina Abramovic et Ulay réalisent une série de 90 performances à travers le monde, intitulée Nightsea Crossing (qu’on pourrait traduire par traversée des abysses). Chaque fois, les deux artistes restent immobiles et absorbés, face à face, assis de part et d’autre d’une table, pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours : « (…) du matériel jusqu’à l’immatériel, de la forme jusqu’à l’absence de forme, de l’instrumental jusqu’au mental, du temps jusqu’à l’absence de temps. (…) Parfois, nous plaçons différents objets sur la table : 250 gr. de pépites d’or trouvées par les artistes, un python vivant, un boomerang couvert de feuille d’or, des ciseaux plantés droit sur la table, un petit éléphant d’argile non cuit, se désintégrant peu à peu, un morceau de quartz cristal, un petit bateau fait de papier blanc. » Les deux artistes mettent en scène leur plongée dans l'inconscient. Il s’agit pour eux de se fondre dans le décor, être en harmonie avec le processus naturel des choses, « être » nature morte. Idéalement, ne reste plus que « la conscience qui continue à travailler à l'intérieur. » Depuis 1976, Marina Abramovic et Ulay réalisent des actions où se raconte la symbiose de leur relation. Avec Nightsea Crossing, le couple s’ensevelit, leur union se situe à présent en arrière plan, elle disparaît symboliquement. En 1983, l’une de ces actions, Conjunction implique cette fois, en plus des deux artistes, un Lama Tibétain et un Aborigène Australien. La performance dure quatre jours, autour d’une table ronde couverte d’or.

 

Passer la nuit est une relecture de l’action Conjunction.

Sous la nef de la chapelle du carmel, un grand disque noir et brillant repose sur le sol au centre de l’espace. Le disque est fait de carreaux juxtaposés de céramique. Quatre objets ou groupe d’objets sont disposés de part et d’autre du disque, se faisant face par paires. Un cinquième objet est installé au centre du disque.

 

TAXIS, un dalmatien naturalisé est assis à l’extérieur du disque. Son museau est prolongé d’une forme humaine couverte du même pelage, accroupie face à lui. La tête humaine disparaît dans la tête du chien. En entrant dans la chapelle, on voit le dos de l’animal, son regard se porte vers le chœur de la chapelle, et vers Crâne Electrique, l’objet qui se trouve face à lui, de l’autre côté du disque noir : un petit générateur électrique rouge repose sur le sol de l’estrade, légèrement surélevée par rapport au reste de la salle. Il s’agit d’un boîtier destiné à alimenter les clôtures destinées au parcage des animaux d’élevage. Un crâne humain fait d’un fil conducteur rouge tressé est suspendu au dessus du générateur dont le voyant rouge clignote (rappel de cette petite lampe rouge qui matérialise la présence divine dans certaines églises ?). Le crâne est électrifié.

 

Archival est une grande araignée figée dans son mouvement, faite de huit jambes de chevaux naturalisées. Située dans la partie gauche de la salle en entrant, au bord du disque noir, elle fait face, à l’opposé de celui-ci, aux Mafias : une tête de corbeau sort de la bouche d’un agneau naturalisé assis. Une tête de canard colvert sort de l’anus d’un autre agneau. Tandis qu’un troisième agneau laisse échapper de sa bouche un serpent qui le pénètre à nouveau par l’anus. Blottis ensemble, les trois animaux semblent faire bloc face à une menace non identifiée. L’agneau-canard semble interpeller Archival, la chose qui lui fait face.

 

Mâchoires est l’élément central, installé au milieu du disque noir. Il s’agit d’un petit jeu d’échecs dont les pièces sont trente-deux dents humaines prélevées à la surface des sols d’anciens cimetières.

Trente-deux dents humaines comme les trente-deux pièces du jeu d’échecs. Rapprochement troublant, d’autant que les profils de nos dents correspondent étrangement aux profils des différentes pièces du jeu : pions/incisives, tours/canines, cavaliers/fous/prémolaires, rois/reines/molaires… L’intelligence stratégique a-t-elle quelque chose à voir avec la mastication ? On dit que la dent est le « premier os visible », et qu’elle annonce en cela l’inéluctable. Il semblerait qu’elle soit aussi le dernier, se désagrégeant apparemment plus lentement que les autres os. Les sols des anciens cimetières en témoignent…

Les carreaux juxtaposés de céramique qui forment le disque noir, font échos à l’échiquier central, comme une onde de choc qui se propage alentour. La céramique qui a un aspect presque cristallin, agit comme un miroir et reflète l’espace de la chapelle. Les « animaux » sont réunis comme autour d’un point d’eau.

Dans cet ancien lieu de culte, le domaine de la religion a glissé vers l’art. Si « l’œuvre d’art » bénéficie ici de l’atmosphère religieuse persistante, qui en accentue sa sacralisation, de curieux glissements se sont aussi produits chez ces « animaux » : des caractéristiques des éléments voisins se retrouvent empruntées, absorbées et transformées dans un jeu osmotique : un dialogue entre le noir et le blanc et la couleur, entre les formes, entre le naturel et l’artificiel, entre le domestique et le sauvage. Surtout, la frontière se résorbe ici entre l’animal et l’humain. L’humain est ensevelit, comme l’était le couple Abramovic/Ulay. Mais du spirituel, ne subsiste que l’objet, auquel on ne peut, bien sûr, pas prêter d’intension méditative, à moins de voir dans la nature morte un miroir.

 

Passer la nuit offre donc différents niveaux de lectures. Si l’animalité est soumise à tel point qu’elle change de forme, elle s’adapte pourtant. A l’heure où se « mécanise » l’être, où les espèces animales (et végétales) disparaissent, l’animalité-miroir, nous dit nos erreurs, et nous dit que ce n’est pas la nature qui a un problème, c’est nous.

Il s’agirait de Passer la nuit. Traverser ces abysses dans lesquels nous sommes plongés aujourd’hui, tant spirituellement que matériellement. Si Abramovic et Ulay devenaient nature morte, cela sera-t-il possible de faire le chemin inverse vingt-cinq ans plus tard, alors que tout est devenu marchandise ? Est-ce possible aujourd’hui de soutenir un contre-feu face à ce qui semble aller inéluctablement contre la perpétuation de la vie ? Est-ce possible de refuser de considérer l’humanité comme maladie incurable de la matière vivante ? Doit-on forcément s'exprimer en une pratique cosmétique ou dans un de ces domaines où l'anthropocentrisme est de rigueur ? Serait-ce possible d’accepter l'animalité dans tous ses lieux de déploiement, y compris dans la conscience elle-même ?

Mon ambition est d’inventer un art animal comme une sécrétion de symbioses, de points d'association entre des organismes ne pouvant vivre l'un sans l'autre. Un art animal qui permettrait d’incarner enfin nos systèmes biologiques, d’explorer les rapports intimes que nous entretenons avec la matière vivante, et de masser simultanément le corps et la pensée.

Passer la nuit, c’est le langage outrecuidant du porte-parole des singes autoproclamé, qui rappelle que l’univers nous dépasse, que nous n’en sommes ni l'origine, ni le but, mais la combinaison provisoire de quelques-uns de ses composants. L'activité de la physique et de la chimie à l’intérieur et entre mes cellules, vous salue bien.

TM  2009

dalmatien naturalisé relié à une forme humaine au même pelage par le museauà une seule tête
vue de l'exposition

Vues de l'expositions

Christophe Meyer

Christophe MEYER

Inventaire avant liquidation

Né à Colmar en 1958

Etudes à l’UER d’Arts plastiques de Strasbourg. Vit et travaille à Strasbourg.

 

Porosité à la panique consécutive à l’effondrement des marchés?

Miné de l’intérieur, par un coup de grisou en se réveillant cinquantenaire et constatant, suivant les critères officiels, la ruine de sa vie par l’absence de Rolex au poignet ? Effet domino de la crise, l’entraînant dans sa chute ?  Une chose semble certaine : l’exposition de Christophe Meyer à la Chapelle du Carmel, intitulée Inventaire avant Liquidation, présente un ensemble d’œuvres qui sont autant de fragments d’un corpus de travaux hétéroclites tels qu’apparaissent les moments forts d’une vie en accéléré, lorsque celle ci défile devant les yeux de celui qui, précipité dans un abîme, voit filer sa biographie avant l’écrasement définitif, en ayant vainement tenté de s’agripper à un événement saillant de sa carrière, comme il arrive aux héros de films d’action de se faire accrocher par une racine.

 

Profitant d’un état de relative fraîcheur de l’artiste, Inventaire avant Liquidation propose donc l’exploration de l’iceberg que constitue l’oeuvre de Christophe Meyer, la partie naufragée étant la plus importante, sous la forme démembrée d’un inventaire en vrac, car en cours, en work in progress ou plus précisément, d’une manœuvre équivalente à une tentative de sauvegarde permanente, un back-up de dossiers divers, au fur et à mesure qu’ils sont exhumés des différentes strates de son atelier.

 

Parmi ces éléments en débâcle surnage “Peinture Puissance Cheval” qui découle de l’expérience et des processus de ces dernières années de travail. La figure du cheval, très simplement découpée en silhouette de carton, s’incarne en couleur par la peinture et une dynamique forte naît de l’amplification de sa forme, de sa répétition ainsi que des associations ou des contrastes intenses des couleurs, d’une grande tension et d’une grande pureté. La forme récurrente de son cheval au mouvement indéterminable (cabré? sautant? en cavale?) est résolument dynamique. “La peinture est mon véhicule, elle me porte et me dynamise, et m’apporte une énergie que j’essaie de capter, de restituer”, déclare Christophe Meyer, pour qui les figures animales sont des “auto-motifs”, ce que confirme la lecture des éléments textuels incrustés dans les nappes et couches de couleurs, dans un langage tirant de la technique à la lingua franca contemporaine, Horse-Power.

 

Sont aussi présentés des éléments d’une encyclopédie vaudouisante, Kitamal, une Danse Macabre, une centaine de tableautins d’une série prophétique “Avenir de la Cruauté” et au chapitre Télévision Magazine, dans la grande tradition de peintures de papes allant de Velasquez à Bacon, des portraits de Benoît XVI, la série B16.

M. L.

Christophe Meyer et les officiels lors du vernissage
des maisonettes sur une étagère

Vues de l'exposition

Esther Hoareau

Esther HOAREAU

Passeurs

Exposition en co-production avec le Musée Niépce

Esther Hoareau est née en 1996

Elle vit et travaille à Dijon

1995-1997 École des Beaux-arts de La Réunion

1997-2001 École nationale Supérieure d’Art de Dijon (DNAP, DNSEP avec félicitations)

 

Le travail de cette jeune artiste, dont les œuvres figurent déjà dans les collections du Musée Niépce, entre photographie et vidéo, a retenu l’attention d’Art Image.

 

La nature comme substrat se dématérialise. Ne reste que le noir qui prend une chaleur, s’invente confortable, ou le blanc, page vide, qui fantasme des histoires naturelles, essaie de les retenir. Des non-couleurs pour accéder à l’immatériel. Le travail d’Esther Hoareau, à travers les possibilités d’une couleur, interroge le corps dans son rapport à la nature, entre animalité et aspiration de l’esprit. Ici le corps humain laisse place à d’autres figures du vivant qui deviennent des intermédiaires entre soi et une rêverie noire et blanche.

un paon sur fond noir
vue de l'exposition
un manoir dans l'obscurité
un arbre dénudé et des oiseaux sur les branches
Michel Verjux

Michel VERJUX

En partenariat avec EMA Fructidor

Michel VERJUX / présentation

 

Avec ses "éclairages", Michel Verjux travaille depuis plus de vingt ans sur l'événement, l'acte, l'objet, le dispositif et le signe d'exposition.

Michel Verjux a tout d'abord pratiqué le dessin et la poésie (entre 1973 et 1983) et le théâtre (jeu, mise en scène et décors entre 1976 et 1979) ; il a ensuite pratiqué (entre 1979 et 1983) la performance et l'installation multimédia (utilisant à cette époque, entre autres, le corps, la vidéo et les projecteurs de diapositives).

 

A partir de 1983, Michel Verjux concentre son activité artistique sur les arts visuels et plastiques et travaille à ce qu'il appelle, d'une façon générique, ses "éclairages". Principalement constituées de projections de lumière, directionnelles, cadrables et focalisables, ces œuvres peuvent être vues non seulement comme de simples images, formes ou signes géométriques de lumière projetée dans l'espace réel, mais aussi et surtout comme des indices et des symboles de l'événement, de l'acte, du fait, de l'objet et du dispositif que représente, selon l'angle sous lequel nous l'abordons, l'exposition.

Ces signes sont donc là pour nous (créateur et visiteurs) faire prendre conscience de l'interaction des composants intrinsèques à chaque situation d'exposition (l'espace architectural, intérieur ou extérieur, l'espace urbain ou le paysage rural ; le temps de l'exposition et celui du parcours du visiteur ; la matière, les formes et la structure constitutives des plans et des volumes éclairés et la lumière ambiante préexistante) avec les composants plus spécifiquement humains (nos dispositions à sentir, agir et penser, à percevoir, parcourir et comprendre, lorsque nous sommes face à ce qui nous est exposé, dans ce qui nous environne et nous occupe).

" Pour qu'il y ait exposition, il faut un espace sous un certain éclairage perçu par le regard d'un spectateur"

 

Michel Verjux.
("Entretien avec Jean Brolly", in Valses nobles et sentimentales, Les Musées de la Ville de Strasbourg, 1991).

vue de l'exposition

Recommencements

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