2015
Jean-Pierre LOUBAT / Claude BURAGLIO
Ruines & Vanités
Cette exposition propose une méditation sur un sujet classique, la vanité. Elle met en regard les photographies de Jean-Pierre Loubat sur les ruines modernes et contemporaines et les vanités de Claude Buraglio : objets en papier mâché réalisés à partir de journaux israéliens, arabes et français, qui viendront ponctuer l’exposition : crâne, escarpins, bananes….
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Jean-Pierre LOUBAT : L’état des ruines
Jean-Pierre Loubat est un photographe des lieux. Il scrute les architectures, les pierres, les objets comme s’il s’agissait de personnes dotées d’une âme et qui n’auraient de cesse de nous interroger sur notre identité.
Dans cette série sur les architectures à l’abandon, il a travaillé sur l’idée du temps ou plus exactement sur la temporalité, son absence de linéarité, ses ruptures mais aussi son inexorabilité.
Ici, le passé et le futur se rejoignent. Les lieux en ruine sont comparables à des couches sédimentaires où le temps se serait amoncelé, ils donnent aussi à imaginer leur prochaine disparition. Les images permettent de saisir ce moment étrange du vacillement avant la chute.
Acte de résistance à l’oubli, la photographie l’est dans son essence-même, puisqu’elle permet de donner une trace objective et durable de ce qui a été, elle l’est à fortiori dans cette série où le photographe fixe les lieux avant qu’ils ne s’effacent. Paradoxales, ces ruines contemporaines suscitent des émotions très contrastées et permettent une multitude d’interprétations.
Jean-Pierre Loubat - Chapelle Karies, Mont Athos, Grèce
Le photographe ne souhaite pas privilégier un point de vue particulier mais permettre au spectateur de cheminer dans sa réflexion et d’explorer toute la richesse de ses images.
On peut y lire le reflet du monde contemporain qui, rongé de l’intérieur, détruisant ce qu’il vient à peine de bâtir, se serait lancé dans une véritable course à l’abîme.
Il est aussi possible d’y voir un lieu de tension entre les forces de la nature et celles de la culture ; l’architecte s’efforçant par ses oeuvres ascendantes de contredire les forces physiques de la gravité qui tôt ou tard s’imposeront.
Les photographies de ruines sont également une forme de Vanité inscrites dans une longue tradition artistique ; une méditation sur l’impermanence et la beauté des choses fragiles.
L’artiste donne à voir tout cela, sans prendre parti ; il laisse le spectateur s’immerger dans l’espace et se mettre en dialogue avec l’image.
Jean-Pierre Loubat privilégie les longues perspectives qui permettent au regard de s’engouffrer dans l’espace et d’y circuler librement.
Les points de fuite sont souvent ouverts sur l’extérieur et suscitent une mise en relation du bâti et de la nature : on aperçoit par exemple un lagon ou une montagne, à travers le cadre d’une fenêtre, ou les jeux de l’ombre et de la lumière sur le sol d’un entrepôt.
Si le photographe favorise l’aspect graphique par des cadrages géométriques et se met volontairement à distance, refusant tout pathos, son approche est également poétique et sensible.
Dans ces espaces meurtris, émergent des décombres, une fresque, un livre, la texture veloutée d’un fauteuil. En un instant, ces détails mettent en route notre imaginaire et nous nous surprenons à développer une fiction du lieu et de ses occupants, qui parle avant tout de nous-mêmes.
Martine Guillerm
Claude Buraglio ; Vanités
Ces objets en papier mâché vont – d'une certaine façon – à l'encontre des installations hyperboliques aux discours abscons, reflet d’une société dont : « toujours plus grand » « toujours plus cher », seraient les maîtres mots.
Là il s'agit d'art pauvre, populaire et universel. Pauvreté du matériau, simplicité de la mise en oeuvre et immédiateté du sens et de la poésie qui s'en dégage. J’évoque l’installation dans le sens littéral, action d’installer « mettre quelque part » ou « n’importe où », car il s’agit d’un arrangement dans l’espace de ces objets en papier. Ils ne sont pas conçus pour un lieu précis, ils n’impliquent pas non plus une intervention extérieure, pas d’interaction. S’ils ne constituent pas un « tout » — ils peuvent fonctionner indépendamment les uns des autres —, Leurs combinaisons est cohérente et s’articulent dans l’espace, se font échos. Ici pas de « grille de lecture » particulière, ni de discours. Ces objets hétérogènes en trois dimensions matérialisent d’une certaine façon l’idée de collage empruntée au Surréalisme. Si tout peut se réaliser en papier, ce n'est pas mon propos. Je fais référence à la Peinture. La pantoufle d'"Olympia" d'Édouard Manet, Andy Warhol, Eduardo Arroyo, Oldenburg pour la pratique même du papier mâché, et par extrapolation aux mosaïques de Gaudi (les morceaux de papier colorés aboutés) et tant d'autres artistes qui influencent mon travail. J'emprunte des éléments visuels qui constitue un tableau, le punctum (1) dans le sens barthien, comme des citations à… Une « Vanité », un régime de bananes dans « l'incertitude du Poète » de G. de Chirico, un dessin de mon père : « Vanité » Autour de… P. de Champaigne », etc. Ces sujets reviennent comme un leitmotiv. Ces formes prosaïques et courantes soumises à « l'indifférence visuelle » apparaissent et/ou disparaissent sous un point de vue différent et nouveau. Ces objets ne sont ni décoratifs, ni ornementaux, j’en conserve délibérément la rugosité, l’âpreté inhérente au matériau, ce qu’il leur confère une vérité ; je saisis des formes du réel, mais pas toutes les formes, pour laisser place à la picturalité. Ces objets en papier sont identifiables par leur forme et leur échelle, mais inutilisables ils deviennent objets-oniriques, objets-fétiches (les bottines, dans « Le journal d’une femme de chambre » d’O. Mirbeau / Luis Buñuel), et comme appartenant à une improbable garde-robe. Je me souviens que ma mère, Zipora Bodek artiste plasticienne, se fabriquait des chaussures dont les talons étaient en papier compressé, ce qui a probablement nourri mon inconscient et mon imaginaire. La réappropriation, le recyclage, l’emprunt et les aller et retour constants entre différents artistes et mouvements picturaux, c'est l'idée qui sous-tend mon travail.
Claude Buraglio, septembre 2011
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(1) « La Chambre Claire » – Roland Barthes
Photo ©Jean-Pierre LOUBAT,
Chapelle Karies, Mont Athos, Grèce.
Claude Buraglio, « Je broyais du noir… Merci Rita ! (ex-voto), carton d’emballage, papier, journaux—socle en bois peint, 25x 16 cm, 2013.
Vues de l'exposition
© Photos Jean-Pierre LOUBAT
Marie VOIGNIER / Vassillis SALPISTIS
Notre dispute avec Hollywood
Notre dispute avec Hollywood est une exposition de Marie Voignier et Vassilis Salpistis.
Pour cette exposition monographique à deux, ils présentent une sélection d'oeuvres, pour la plupart des projets réalisés en collaboration : des collages, un film et une installation, qui définissent le périmètre d'un champ de recherche commun.
« 19 montages » propose différentes hypothèses d’empilements de roches et de formes géométriques en céramique.
Les fragments de roches ont été prélevés dans une ancienne carrière ayant servi à paver les rues de Paris au XIXe siècle. Ce travail a pour point de départ la gravure de Goethe « Chaos rocheux de Luisenburg », (1785) dans laquelle Goethe redresse, par le dessin, les rochers éboulés observés lors d’une de ses promenades. « 19 montages » tente d’extraire du geste romantique de Goethe, la puissance de l’imaginaire portée par le dessin et de déployer son potentiel formel et narratif.
Ένα ένα (un par un), est un film-collage tourné à Thessalonique et Athènes qui explore les ramifications contemporaines de la question du mythe dans le contexte d’un pays en crise.
Le film juxtapose des entretiens avec des personnes engagées dans des formes de recherche mystique contemporaine, à des textes de l’historien, spécialiste de la mythologie grecque, Paul Veyne.
Ένα ένα (un par un) évoque en cinq chapitres sous la forme diffractée et non synthétique d’un collage, comment la construction de notre histoire contemporaine relève d’une cristallisation de narrations antagonistes où interviennent le mythe et la croyance.
Les images du film sont constituées de prises de vue d’Athènes et de collages de photographies filmés avec un dispositif évoquant le pré-cinéma et les lanternes magiques, faisant glisser le film vers une forme d’essai visuel.
Dror ENDEWELD
Langage articulé
TEXTE DE L’EXPOSITION, INSTITUT D’ART CONTEMPORAIN, VILLEURBANNE 1995
L’exposition est conçue autour de quatre propositions issues d’une double contrainte. La première, le nom propre « ENDE-WELT », traduit et librement décliné, comme contenu de ces propositions (excepté la dernière).
La deuxième, est la forme «1» en volume comme unique élément de construction. Cette unité est combinée de
manière à évoquer des lettres, formant des mots, des phrases. L’architecture de la lettre en ressort fragmentée ; par ces brèches, je tente d’ouvrir sur de nouveaux champs d’interprétations. Chaque proposition est l’oeuvre et, en même temps son commentaire. Ce texte est donc le commentaire du commentaire/oeuvre.
Proposition 1
ENDE EINER WELT (fin d’un monde)
Le mot «EINER» inséré au centre du nom propre annonce le ton du travail, autant sur le plan formel que
conceptuel. Je tends à m’exprimer plastiquement avec le langage écrit ; le nom propre est donc une « matière première » et, de sa proximité, en quelque sorte « le sens minimum du discours ».
Malgré cette objectivité ce nom revêt également un sens indéniablement expressif et subjectif. Pour ces mêmes raisons, première et élémentaires, j’utilise la forme «1». Cet ensemble est amené à se complexifier par la multiplication des interprétations données dans les propositions suivantes.
Proposition 2
UN MONDE EN SOI - NON UNE FIN EN SOI
Cette proposition comme les autres doit se comprendre dans son sens littéral et dans son sens figuré. Elle
évoque le nom, les moyens, la finalité, la créativité de chacun et l’éthique (en forme d’auto-avertissement). Le nom propre est utilisé uniquement comme un point de départ mais nullement comme une fin en soi.
Proposition 3
UN MONDE INFINI EN UN MONDE DEFINI
L’élargissement du mot « fin » à « infini » et « défini » ; ceci, afin de commenter la liberté d’un travail avec une
contrainte. Celle-ci présente à mes yeux l’avantage d’interpeller le regard et l’attention de l’autre. Cette contraint que me suis imposée pour construire des lettres et « écrire », devient pour le spectateur, contrainte de lecture (déchiffrage). Il fait le même chemin que moi mais dans le sens inverse ; en cela, il participe réellement à l’oeuvre.
Proposition 4
Proposition tautologique bouclant l’ensemble du travail en revenant à l’unité de base et à son appréhension
physique. Elle fonctionne aussi comme une mise en rapport avec l’histoire de l’art et plus précisément aux positions répandues, d’artistes qui ont revendiqué l’absence du sujet dans l’oeuvre et les artistes qui revendiquaient l’absence de l’objet.
Cette proposition déconstruit toutes les autres ;
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« Ende einer Welt » (fin d’un monde).
Du particulier à l’universel, travail à partir de mon nom.
« Un monde en soi, non une fin en soi ».
La créativité de chacun, la fin et les moyens.
« Un monde infini en un monde défini ».
Le travail avec une contrainte, concept de liberté.
« Aucun autre objet, un seul sujet ».
Elément critique renvoyant d’une part à l’histoire de l’art,
et d’autre part à l’unité de base « 1 », seul objet visuel constituant des lettres.
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Plaques tournantes III
ALTERED/ ALTÉRÉE - AND / ET - VERSATILE
La pièce produite pour la Chapelle du Carmel est une pièce de la série des plaques tournantes. Elle est composée en trois parties. Les deux parties extérieures comprennent des mots ; certains pivotent sur un axe. Sur la partie centrale figure une trame géométrique.
L’oeuvre joue de termes identiques ou très proches en français et en anglais. Elle pose la question de la prédominance de l’anglais dans le contexte artistique international. ALTÉRÉE / ALTERED et VERSATILE écrits sur les plaques se liront et se comprendront probablement en anglais dans la majorité des pays : leur sens est
pourtant antagoniste selon leur compréhension en français ou en anglais. Le génie de ces deux langues éclaire ces mots différemment.
En anglais, ALTERED marque la modification d’une situation plutôt vers une amélioration. VERSATILE est tout simplement polyvalence et modularité dans une certaine souplesse d’utilisation. En français, ces mêmes mots ALTÉRÉE et VERSATILE sont liés à la destruction et à l’indécision. Il ne s’agit pas ici d’en tirer des conclusions définitives sur une langue et une culture, mais bien de s’arrêter sur cette ambivalence, sur la relativité de la pièce
vis-à-vis du contexte et du lieu. Le but est d’éveiller notre sens d’interprétation et notre capacité à nous projeter ailleurs et autrement.
Le contexte présent de la Chapelle du Carmel donne son inspiration à la pièce. Ce lieu est aujourd’hui un lieu culturel polyvalent. Il était exclusivement cultuel, il a donc subi une transformation importante depuis son édification.
La pièce pose un regard précis sur son carrelage très attrayant, elle en tire ses formes, le carré combiné au cercle. Mais cela n’est qu’une partie de la donne. Il s’agit ici aussi d’évoquer le travail de Carl Andre.
Ce reenactement, actualise son oeuvre : une reconstitution qui va de pair avec une modification/altération de son sens originel. Les carreaux au sol, si caractéristiques de l’oeuvre de Carl Andre, se trouvent ici encadrés et inclus dans un ensemble plus large qui fonctionne comme un intermédiaire ou un sas avec le lieu. Cette partie est aussi le support aux mots à signification variable, mots qui commentent l’ensemble. Les encoches, creusées à la lisière des carreaux, suggèrent leur saisie et permettent la modification de leur agencement et une certaine
autonomie.
Nous sommes devant un travail qui en contient un autre : une mise à distance marquant
le passage du temps, une distanciation suivie d’une mise à jour évoquée par les coins
arrondis, véritable icône du design de notre époque.
Stéphane LALLEMAND / Jeanluc HATTEMER
Joseph KIEFER / Robin GODDE
La tendresse de Duras
Tout part de la découverte de Givry et de son architecture singulière…
Une géométrie symbolique omniprésente qui trouve son point d’orgue à la “Halle Ronde“ au centre de laquelle s’élève un escalier en colimaçon monumental signé par son auteur : JN Barbesson, dit La Tendresse de Duras “.
Si le cube blanc, le fameux “white cube“ si cher à la muséographie de l’art contemporain se prête particulièrement bien à l’exposition par sa neutralité architecturale, les deux lieux proposés pour cette exposition en sont l’exact opposé.
La simple juxtaposition de travaux posés contre cette architecture n’était pas envisageable, c’est donc un propos inverse qui a été retenu, celui d’un dialogue avec les composantes de l’architecture.
La “Halle Ronde“ dont, son nom l’indique, aucun mur n’est plan, oblige à considérer l’espace selon un point de vue à 360°. L’escalier qui s’élève en son centre propose virtuellement une élévation et matérialise donc cette troisième dimension.
La vision euclidienne propre à la perspective conique des peintres ne peut s’appliquer dans cet espace, restent donc les trois dimensions du sculpteur auxquelles s’ajoute le mouvement dans les mobiles de Joseph Kieffer.
Le tore de révolution de Jean Luc Hattemer, support d’une danse effrénée de spermatozoïdes, comme ses “baignoires“, font écho aux éléments de la colonne centrale et à la fontaine proche, tout comme le nuage qui semble léviter sur une bassine montagne.
Les mobiles sont presque la représentation physique de l’effet produit sur la vision lors de l’ascension de l’escalier
Les photographies de Stéphane Lallemand font écho aux Maîtres Anciens et à cette perspective conique dont le modèle représenté sur une série de gravures de Dürer est repris dans la photographie titrée “l’Invention de la perspective“.
La chapelle de Cortiambles, dont il ne subsiste que la croisée du transept propose une vision sur une architecture religieuse proche d’une maquette par les vues éclatée et les transparences dues aux destructions du chœur et de la nef.
Les pièces qui y sont présentées évoquent toutes cet univers des bâtisseurs. Ceux du passé sous la forme d’un hommage à leurs pratiques et à leur savoir faire, confrontés aux matériaux contemporains.
La bétonnière en béton de Joseph Kieffer accueille le visiteur, qui aperçoit le dessin dans l’espace réalisé en fers à béton de Robin Godde.
La brouette miroir de Jean Luc Hattemer permet une vision singulière sur cette architecture par l’effet de reflets multiples qu’elle offre en la promenant dans l’espace, une sorte de rétroviseur horizontal.
La “Tour d’ivoire “ de Stéphane Lallemand, couronnée d’un mâchicoulis dont l’accès serait interdit par une couronne de tesson de bouteilles, offre une vision un peu noire du bâti individualiste qui isole en croyant se protéger.
La cloche en verre églomisée comme un miroir trouve naturellement sa place silencieuse dans l’axe de la tour de croisée en se confrontant avec le “BOUM“ de Joseph Kieffer qui nomme ainsi la destruction de l’édifice.
Quatre points de vue d’artistes qui se rencontrent en échangeant des regards poétiques sur des architectures fortes et qui essayent de dialoguer avec elle sans la dénaturer.
Joseph Kieffer "Mobile"
Joseph Kieffer "Mobile"
Sculpture de Robin Godde Photo de Stéphane Lallemand
Paysage de Jeanluc Hattemer
Jeanluc Hattemer "Bain d'air"
Jeanluc Hattemer, Le tore de révolution, support d'une danse effrénée de spermatozoïdes
« Eve II, » anneau en grès de Trier et « Paysage », cuivre, albâtre
Jeanluc Hattemer "Cloche" Joseph Kieffer "Boom" Robin Godde "dessin en acier"
Joseph Kieffer promenant la brouette miroir de Jeanluc Hattemer
Jeanluc Hattemer "Rose"
Stéphane Lallemand "Tour d'ivoire"